Le bonheur à tout prix ?

A la poursuite du bonheur… C'est l'un des souhaits les plus partagés, le but avoué de chacun d'entre nous, bien que vague dans sa définition : les façons de l'atteindre en sont en effet multiples et plus ou moins efficaces. Beaucoup de recettes et de conseils, de directions à suivre et d'autres à éviter. Le bonheur reste néanmoins dans l'esprit de tous, l'ambition ultime. Pourtant, le bonheur pourrait nuire… à lui-même !

Bonheur Illustration Coussin
© istock

Les auteurs d'une récente étude, publiée dans Perspectives on Psychological Science, et explorant les conséquences que peut avoir le bonheur, l'affirment : ce dernier ne devrait pas être considéré comme universellement et intrinsèquement bon. En pratique, tous les types et degrés de bonheur n'apportent pas forcément les mêmes satisfactions. La recherche du bonheur ne devrait donc pas toujours être considérée comme prioritaire, ni même souhaitable, dans les cas ou elle mène les gens à se sentir encore moins bien qu'avant. Les auteurs identifient pour exemple 4 situations dans lesquelles le bonheur ou sa poursuite engendrent de fâcheuses conséquences...

Méthodes et techniques, efficaces en labo seulement ?

On doit reconnaître à la psychologie positive - un courant de la psychologie théorique, et non un courant de psychothérapie - le mérite d'étudier, contrairement aux disciplines habituelles, l'homme "normal" et les conditions dans lesquelles il se sent heureux, plutôt que l'homme "pathologique" et les conditions dans lesquelles il "pourrait se sentir normal/mieux". La psychologie positive est en effet une branche de la psychologie dont le but principal n'est pas d'étudier le psychopathologique, mais plutôt les conditions psychologiques dans lesquelles tout un chacun pourra s'épanouir. Parce que ce n'est pas parce qu'on est physiquement ou mentalement sain, que l'on est forcément heureux.

Sur la base d'hypothèses et de théories sur les moyens d'atteindre différents types de "bonheur", la psychologie positive a créé certains outils permettant avec efficacité, d'estimer le degré de bonheur, voire de l'influencer. Elle a tiré ensuite de ses enseignements, quelques méthodes permettant d'augmenter le ressenti "heureux" de chacun. Par exemple, elle indique que réserver chaque jour un peu de temps pour repenser aux petits évènements quotidiens qui nous ont fait sourire, nous ont apporté un peu de joie, ou encore songer à de tels petits évènements qui pourraient nous rendre un peu plus heureux, augmente notre sensation globale de bonheur.

Ces petites techniques mises au point par la psychologie positive ont l'avantage de se focaliser sur des comportements précis, simples, sur lesquels ont été effectués des mesures valables et validées par l'expérimentation. Cependant, elles présentent le désavantage, selon June Gruber, de l'Université de Yale, de tromper sur la marchandise : si les stratégies sont effectives en laboratoire, elles ont un effet pervers lorsqu'on les utilisent dans le but avoué d'augmenter sa sensation globale de bonheur.

Ces outils, souvent suggérés pour vous rendre de façon diffuse, plus heureux, ne sont pas intrinsèquement mauvais,  explique Gruber, :

"Mais lorsqu'ils sont utilisés avec la motivation et dans l'attente des conséquences selon lesquelles ils vous rendront plus heureux, ils peuvent finalement mener au désappointement et diminuer votre bonheur".

Autrement dit, si on les prend comme d'anecdotiques outils, ils ont un effet généralement bénéfique bien que modeste. Par contre, pour peu qu'on les prenne pour des solutions miracles ou que l'on attendent trop d'eux, et l'on risque de filer droit vers le désenchantement, et au final, vers un ressenti pire que précédemment.

June Gruber nous rappelle ainsi que la poursuite d'un but heureux peut se retourner contre soi, et les gens qui recherchent le bonheur à tout prix et pour lui-même, peuvent en définitive se sentir encore moins biens que lorsqu'ils ont commencé à le chercher - et ce, d'autant plus que la méthode utilisée est censée provoquer l'augmentation du ressenti heureux.

Cette constatation est par ailleurs illustrée par une expérimentation réalisée par Iris Mauss, une collègue de Gruber, montrant que des personnes qui regardent un film joyeux après avoir lu un article qui tente de décrire le bonheur, se sentent moins heureux après le film, que des personnes n'ayant pas lu de tels articles. Selon les auteurs, l'explication se trouverait dans les attentes déçues : quand une personne ne se sent pas aussi heureuse qu'elle l'avait prévu ou attendu, c'est finalement l'effet inverse qui se produit sur le sentiment global et diffus de bonheur.

Manies et bonheurs factices

En plus de cet effet pervers des attentes, on peut également remarquer que trop de bonheur semble nuire au bonheur : une observation réalisée sur une cohorte d'enfants suivis depuis les années 1920 jusqu'à maintenant, montre en effet que les personnes qui sont mortes les plus jeunes, sont en majorité celles dont leurs professeurs reconnaissaient le caractère particulièrement enjoué et joyeux. D'autres observations ou expérimentations avaient déjà suggéré que les personnes qui ressentent de façon la plus extrême la sensation de bonheur et de bien-être général, semblent recéler de moins de créativité, ou prennent de manière générale, plus de risques.

Ceci peut par exemple s'observer dans les phases maniaques, comme dans les troubles bipolaires : les patients, lors de ces phases, ressentent de hauts degrés d'émotions positives accompagnant, et parfois entraînant, des comportements à risques, tels que l'abus de substances psychotropes, la consommation ou les dépenses excessives, la conduite à risque ou la recherche d'activités insouciantes. Mais même dans le cas de personnes exemptes de troubles psychopathologiques, de trop hauts degrés de bonheur peuvent avoir des conséquences néfastes.

Une autre situation permet d'envisager le bonheur comme source d'embarras, dans le cas ou le ressenti heureux est inapproprié. Il ne parait évidemment pas très sain de se sentir heureux lors d'évènements fâcheux touchant nos proches, ou même des gens que l'on ne connaît pas. Par exemple, se sentir joyeux à la vue d'une personne pleurant un disparu, ou lorsque l'on apprend qu'un ami vient d'avoir un accident. Là encore, ce type de bonheur "inapproprié" se rencontre de manière flagrante dans certaines pathologies, dont les troubles bipolaires, aux phases maniaques précédemment citées. Il est moins visible mais peut être présent chez les personnes "normales".

Enfin, un bonheur systématique peut être le signe d'un déficit en émotions négatives (tristesse, culpabilité, honte), ce qui paradoxalement, n'est pas aussi enviable que cela parait de prime abord. Les émotions négatives sont en effet des indicateurs utiles, pour les relations affectives tant que sociales : la culpabilité nous rappelle de nous comporter correctement envers d'autres personnes, la peur empêche de prendre des risques inutiles. Aussi, les émotions négatives font tout autant que les positives, partie d'une vie normale.

Le bonheur : Et s'il se trouvait mais ne se recherchait pas?

Les auteurs de l'étude rappellent que depuis plusieurs années déjà, la psychologie a découvert le moteur principal du bonheur. Le prédicteur le plus efficace et pertinent du sentiment d'être heureux, n'est pas l'argent, ni la reconnaissance à travers le succès ou la célébrité. C'est simplement la capacité d'avoir et d'entretenir des relations sociales significatives et signifiantes. Ceci implique que la meilleure façon d'atteindre le bonheur, semble avant tout d'arrêter de se soucier de l'atteindre et de plutôt dépenser son énergie à nouer et améliorer les liens sociaux et affectifs, par exemple familiaux, amicaux et professionnels, qui représentent le véritable fond d'une vie heureuse, psychologiquement "équilibrée".

2 réactions à Le bonheur à tout prix ?

  • Sommes-nous donc condamnés à ne jamais nous préoccuper de nous pour être heureux ? Et si c’était une juste rétribution, à savoir que les gens heureux sont ceux qui se soucient des autres… A méditer !

    • Non pas à méditer, il est tout simplement admis que le fait de penser à autrui est chez beaucoup de personnes l’un des ingrédients essentiels du ressenti du bonheur. ainsi, les personnes faisant des dons (argents, sang, temps, etc…) sont en moyenne plus heureuses que les personnes n’en faisant pas. 
       
      Je n’ai plus les références de l’étude qui le montre, mais il me semble bien qu’elle fait partie de ces récentes études inspirées par le courant de la psychologie positive (qui n’est pas une de ces dernières thérapies à la mode de chez n’importe qui, mais bel et bien un courant de la psychologie se voulant, au possible, scientifique, à l’instar de la psychologie cognitive)

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. - * Champs obligatoires

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.