Une vie de couple est toujours une aventure. Sa stabilité repose sur un équilibre fragile, qui peut être malmené par les bouleversements de la vie. Le départ des enfants et la retraite sont des changements importants qui obligent bien souvent à réaménager le quotidien. C'est pourquoi vieillir ensemble est à la fois une continuité et une découverte.
Sommaire
Vieillir à deux
Pendant des siècles, vieillir à deux était une perspective rarement envisagée dans un ménage. Jusque vers les années 1970, les plus de 65 ans étaient essentiellement des veuves. Les hommes, sexe faible en termes d'espérance de vie, ne résistaient guère au-delà de l'âge légal de la retraite. Mais les progrès de la science et du confort sont intervenus et, aujourd'hui, bien des couples peuvent vieillir ensemble.
Cependant, l'évolution de la société a créé d'autres aléas. Depuis 30 ans, le statut de couple est plus fragile parce que plus facile à défaire : beaucoup d'entre eux éclatent ; certains tiennent, contre vents et marées...
Une nouvelle vie
Pour les couples qui durent ou ceux qui se sont reformés, le cap de la cinquantaine annonce souvent le départ des enfants vers des études lointaines, vers la vie professionnelle, vers l'autonomie. Après des années de vie familiale dense et mouvementée, les parents se retrouvent seuls à la maison. Quand vient le temps de la retraite, après 30 ou 40 années d'un écran constitué par le travail, les couples qui ne faisaient que se croiser sont dans un face-à-face qui va durer deux ou trois décennies.
Pour ceux qui vieillissent ensemble, cette nouvelle vie à deux est souvent une découverte, une aventure troublante, où l'on redécouvre l'autre, si proche et pourtant parfois si étranger.
La dynamique du couple
La vie à deux est tributaire de l'histoire de chacun des individus, il y a donc autant de couples que de combinaisons d'êtres. Certains profils se dessinent néanmoins : les nouveaux, les anciens, les fusionnels, ceux qui s'évitent ou se détruisent, les amoureux, les cohabitants, les tendus, les sadomasochistes... la liste n'en finit plus.
Un respect mutuel
En général, même s'il existe des tensions, la règle est plutôt au modus vivendi. On privilégie volontiers de petits arrangements pour éviter des décisions brutales comme la séparation. Se met en place une autorégulation qui oblige chacun à des compromis plus ou moins faciles, mais, dans l'ensemble, après quelques mois un équilibre est atteint.
La configuration de l'habitat peut aider à trouver ses marques. Un espace suffisamment grand permet à chacun d'avoir son « coin » sans empiéter sur le domaine public du couple : chacun son bureau où l'autre ne pénètre que s'il y est invité, chacun son désordre à un endroit précis. Une fois les espaces intimes délimités, les conflits de promiscuité s'estompent, la répartition et la stabilité s'amorcent.
Si l'espace habitable ne permet pas cette organisation, il est important de trouver son lieu à soi à l'extérieur (association, activé physique ou intellectuelle...).
Trouver l'équilibre dans le couple
Le début de l'équilibre du couple repose donc sur une certaine forme de séparation, chacun essayant de trouver sa place à la bonne distance. Ceci n'exclut pas les retrouvailles et les projets à deux. Être attentif à l'autre, à sa liberté et à ses désirs, donne davantage de profondeur aux relations du couple.
Organiser des événements
Il faut créer des moments de rencontre et marquer les dates, comme on le fait pour le pot de départ en retraite : refaire un « voyage de noces » dans un endroit que l'on a aimé, où l'on a rêvé plus jeune, y rester au moins 10 jours. Il est nécessaire de se retrouver et surtout de parler, de mettre au jour ses craintes, ses envies, ses projets...
Faire des projets. On peut essayer d'établir quelques pistes sur 6 mois ou 1 an, et refaire le point 6 mois plus tard pour voir ce qui a fonctionné, ce qui doit être abandonné et ce que l'on conserve.
La complétude narcissique
Dans les couples qui prennent de l'âge comme chez les plus jeunes, un équilibre tacite s'installe dès le début. Le ou la partenaire représente toujours une partie manquante de soi-même. Les psychanalystes appellent cela la complétude narcissique : l'autre vient combler nos désirs conscients et inconscients, nos manques. De ce fait, le choix du partenaire n'est jamais anodin, même si le hasard ou la nécessité s'en mêlent.
Nos modèles
Des références à peine voilées aux parents, souvent aux parents idéaux, ceux que l'on a rêvés enfant ou adolescent, guident nos choix dans la recherche d'un conjoint. L'éternelle relation œdipienne nous poursuit et infiltre nos attirances sur le plan amoureux.
Un partenaire rassurant
Chez les seniors, on le constate plus particulièrement à la suite d'une séparation ou d'un veuvage. Lorsqu'ils ont moins de 75 ans, après quelques années de solitude et de chagrin, les hommes restent très rarement seuls. Ils ont besoin d'une partenaire qui comble ce vide et efface le chagrin, qui les protège à la manière d'une mère consolatrice. Les veuves âgées qui cherchent aussi un équivalent protecteur ont souvent moins de chance.
A partir de 55 ans, la proportion d'hommes seuls est très inférieure à celle des femmes seules, surtout en milieu urbain.
Cette configuration très favorable aux hommes s'observe dans les lieux de rencontre, comme les thés dansants, où les femmes cherchent désespérément des cavaliers. On I observe également sur les sites Internet de rencontres, ou, à l'inverse de la tranche d'âge précédente (35-54 ans), les femmes qui cherchent un partenaire sont nettement majoritaires.
Les séparations
Dans cette conjoncture favorable aux hommes, on voit de plus en plus de couples se séparer après l'âge de 60 ans. Cela dit, tout reste relatif, les séparations s'orientent plutôt vers des arrangements plus ou moins acceptés par chacun que vers des divorces conflictuels. Car les enjeux affectifs et financiers, les questions d'héritage et la réprobation des enfants n'incitent pas à envisager une séparation radicale.
Le démon de midi
Cette tentation du milieu de la vie, qu'on peut encore appeler démon de 13 heures lorsqu'elle survient un peu plus tard, ne concerne plus uniquement les hommes. Certaines femmes autonomes et libérées, qui ont su maintenir leur capital de séduction, s'autorisent à vivre des aventures et s'amourachent parfois avec délice.
Les nouvelles seniors
L'avantage des femmes sur les hommes réside dans leur meilleure capacité à supporter la solitude. Elles ne cherchent pas obligatoirement à combler l'angoisse du vide comme le font de manière caricaturale certains de leurs partenaires masculins. Encore marginal, ce style de femmes donnera peut-être le ton aux futures générations de seniors.
Divorces et recompositions
Les nouveaux seniors appartiennent à cette première génération qui a divorcé en masse. Ils sont parfois grands-parents d'enfants d'une première union et parents d'adolescents, voire de jeunes enfants, d'une deuxième ou troisième union. De fait, il devient parfois très compliqué de repérer les générations et le nombre des membres d'une même famille. Face à cette nébuleuse générationnelle, les modèles anciens explosent.
Une configuration mouvante
Plus personne ne se choque devant des parents âgés de plus de 45 ans qui promènent leur bébé, ni devant des couples présentant une mixité de cultures, de générations, voire un mélange de genres comme dans les nouveaux couples homosexuels.
Des bouleversements sont en marche et ils constituent une avancée inéluctable malgré les réactions régressives de conservateurs qui voudraient voir renaître les modèles les plus archaïques. Les seniors, qui traversent cette évolution historique depuis des décennies, ont été largement bousculés dans leurs principes. Ils ne s'étonnent plus de rien !
Quel que soit l'âge des conjoints, les couples ne sont donc plus des entités éternelles unies par des liens indéfectibles.
La solitude
Dans nos sociétés, la concentration urbaine est à son maximum. Des millions de personnes vivent dans des mégalopoles et souvent s'ignorent. La masse urbaine entérine l'anonymat et annule les solidarités.
Dans le cœur des villes, on recense une majorité de personnes seules de tout âge. Et, dans un même immeuble, on rencontre fréquemment une ou deux veuves de 70 ans, trois divorcées de 45 ans, cinq jeunes célibataires de 30 ans et quelques couples souvent sans enfants.
Une solitude subie
Pour les seniors, cette solitude est rarement choisie. Elle concerne une très large majorité de femmes entre 45 et 70 ans, ce qui fait que les hommes ne restent jamais longtemps seuls. Veufs ou divorcés, ils sont très convoités. L'homme a besoin de protection maternelle. Certes, il cède aux plaisirs de la chair, mais il recherche davantage le confort qu'offre la vie à deux.
Le surinvestissement professionnel
Les femmes sont parfois tout aussi fragiles, mais elles assument leurs manques avec résignation, souvent même avec détermination. Certaines surinvestissent leur activité professionnelle, mais restent disponibles pour leurs proches.
À la retraite, la liberté nouvellement acquise est très différemment perçue, Les solitaires qui se sont jusque-là entièrement consacrées au travail vont subir ce moment comme une fermeture à la vie sociale et éprouver une perte cruelle du sentiment d'utilité.
Les pièges de la solitude
D'autres célibataires cumulent parfois une vie professionnelle et la prise en charge d'un vieux parent plus ou moins dépendant.
Lorsque l'écran du travail tombe, le soutien apporté au parent se renforce parfois à l'excès.
Le statut de célibataire et de retraité confère désormais une disponibilité qui va de soi pour l'entourage, en particulier pour les frères et Sœurs, qui se déchargent volontiers de toute participation.
Il convient de partager le soutien, quitte à organiser une réunion de famille pour répartir l'aide, et de s'accorder des périodes pour souffler, comme on le faisait obligatoirement en période professionnelle.
La solitude peut donc être un piège, le sentiment impérieux de devoir être utile aux proches et la peur du vide existentiel conduisant à s'oublier soi-même.
La solitude choisie
L'expérience de la solitude est pourtant une recherche qui nous poursuit tous dans nos envies d'île déserte, de silence, de méditation... Ces replis aident à prendre du recul sur soi, sur les actions qu'on mène, sur les relations avec les autres, et surtout ressourcent l'âme singulière de chacun.
Être seul peut donc être une force, un besoin de prendre sa vie en main, de la maîtriser, un refus de penser que nos choix, nos actes sont l'effet du hasard ou influencés par autrui. Ce libre arbitre est précieux, même si dans de nombreuses situations on ne peut se passer du soutien d'autrui.
Le veuvage
Certains jeunes seniors sont touchés par la perte de leur conjoint. L'événement est polymorphe : il peut être brutal, provoqué par un accident ou faire suite à une longue maladie. Les réactions du survivant sont variées selon sa personnalité, son âge, ses responsabilités familiales et professionnelles, et bien sûr selon les liens qui l'unissaient au défunt. Chez les seniors qui ont fait des projets de retraite à deux, le veuvage prend une résonance terrifiante.
Le travail de deuil
Quelle que soit la configuration de cette perte terrible, les réactions humaines classiques du deuil bouleversent le survivant.
Le déni de la réalité, l'impossibilité d'y croire, l'idéalisation, la colère face à l'injustice, le chagrin devant chaque détail du quotidien l'envahissent d'abord.
Puis surgissent le dépit et la dépression, où la culpabilité se nourrit des images terribles de la fin de vie. L'envie morbide de rejoindre l'autre accompagne les cauchemars. Le contrecoup, survenant en général 6 mois plus tard, se manifeste par une absence d'énergie vitale.
Enfin, une troisième phase permet de se reconstruire en conservant de l'autre un souvenir moins douloureux, des images plus tendres, plus vivantes, et même en repensant de façon critique à ses défauts les plus agaçants. C'est une période de ressourcement au cours de laquelle l'autre est présent en soi beaucoup plus vivant que mort, comme une force et non plus comme une blessure.
Il faut du temps, ainsi qu'un entourage proche et patient, pour effectuer ce travail de deuil. Les rites et les croyances religieuses apportent aussi une aide. Avec ce soutien culturel collectif, la personne endeuillée n'est jamais seule.
Sans que l'on soit forcément religieux, une bougie ou une prière dans un lieu de culte ou un cimetière sont des actes banals mais profonds dans lesquels chacun, mû par le désir de communiquer avec celui qui n'est plus, se reconnaît.
Le mythe des veufs joyeux
Contrairement à une idée répandue par le théâtre de boulevard, il n'y a pas beaucoup de veufs joyeux. Quels que soient les liens qui ont uni le couple, le travail de deuil est incontournable. La souffrance et le chagrin surgissent toujours lorsque l'un des deux disparaît.
Les proches sont souvent étonnés des réactions d'affliction de la personne endeuillée qui, durant des décennies, n'a cessé de se plaindre de son conjoint (sans toutefois le quitter). Après la mort, on assiste même parfois à une idéalisation de celui ou de celle qu'on dénigrait, à une sorte de béatification censée effacer les ratés de l'intimité amoureuse.
Couple senior : 3 Histoires de vie
Réinventer sa vie de couple
Pierre avait cessé de travailler depuis 2 ans. Il bricolait avec frénésie et connaissait tous les rayons bricolage à 30 kilomètres à la ronde. Il devenait un spécialiste du BTP et les projets de restauration du pavillon prenaient de l'ampleur Josiane retrouvait le soir son ouvrier perpétuel, qui l'abreuvait de commentaires sur l'avancée (lente) des travaux.
Le temps défile trop vite, c'est bien connu.
Un soir, Josiane, harassée par les longs trajets entre son domicile et son travail, déclara :
C'est ma dernière semaine. Après c'est la fin, basta ! j'en pouvais plus de ces transports bondés, de ces changements de chef perpétuels.
Pierre en fut interloqué : C'est déjà la date ?
Eh oui, avec les congés, l'ancienneté et le reste, c'est fini dans 8 jours. Ça t'embêtes ? répondit Josiane.
Non non, pas du tout, mais je n'ai pas fini !
Tu n'as pas fini quoi ? Ta restauration risque d'être éternelle. J'arrive, et j'ai bien l'intention de retrouver quelqu'un d'autre qu'un plombier sur son chantier.
Les quelques mois qui suivirent furent rudes. Josiane tentait de délimiter son territoire : la cuisine était le lieu de joute idéale. Pierre résistait mal à l'injonction d'interrompre son programme pharaonique.
Justement, ils eurent envie de voir l’Égypte. Peu de temps après, ils se retrouvèrent sur le Nil, fascinés par les sculptures colorées et les ibis au vol lourd.
Ce petit voyage de noces inaugura une nouvelle vie à deux. Pierre relégua les outils au placard et écouta les projets amoureux de Josiane.
Au risque de s'oublier soi-même
Lucette était la seule fille de la famille, et ses trois frères aînés lui avaient confié leur mère handicapée. Depuis toujours, elle veillait sur sa mère, victime à 36 ans d'une hémiplégie qui avait laissé des séquelles terribles et fait fuir le père. Dans l'appartement, Lucette avait conservé sa chambre d'enfant, son petit lit et sa collection de poupées. Elle préparait tout avant de partir au bureau.
Après la quatrième restructuration de son entreprise, on lui proposa une préretraite. Elle accepta, les larmes aux yeux. Elle se retrouvait en permanence avec sa de 82 ans coincée dans un fauteuil, qui la réclamait sans cesse.
Pour ses 60 ans, Lucette partagea avec des collègues une fête joueuse et arrosée. En rentrant, elle trouva sa mère tombée du lit et totite tremblante. Après cet épisode, Lucette sentit fondre son énergie. Elle restait assise au côté de sa mère devant la télé. Un jour, un miracle fraternel se produisit Un de ses frères proposait d'emmener leur mère 3 semaines au bord de la mer. Pour la première fois de sa vie, Lucette fut seule. Elle frotta la maison frénétiquement, puis se mit à sortir, à s'étonner du monde, comme un détenu libéré après une longue peine. Arlette, une vieille copine en retraite, l'entraîna à l'aquagym et l'obligea à la retrouver une fois par semaine pour des escapades.
La vie reprenait ses droits. La maman, revigorée par l'air marin grâce à son aîné adoré, accepta les fuites de Lucette et prit elle-même goût aux séjours balnéaires avec son fils.
Un souffle retient la vie
Georges venait de perdre sa femme. Couple de commerçants sans enfant, ils avaient toujours vécu dans la fusion. Désormais, Georges se sentait amputé et le monde devenait un gouffre sidéral.
Il restait affalé clans son fauteuil, caressant le coussin vide où se blottissait sa femme. Il dormait sans cesse, et ronflait de concert avec la télé et son chien. Souvent, en ouvrant la fenêtre, Georges hésitait à sauter, à s'envoler pour rejoindre sa bien-aimée. Ce n'était qu'une mauvaise pensée, il n'en faisait rien et se laissait consumer de l'intérieur
Les mois s'écoulèrent. Seul le chien l'obligeait à sortir pour des promenades hygiéniques de plus en plus courtes. Lors de ces brèves escapades, il croisait toujours les mêmes silhouettes penchées sur leur toutou. Chaque soir, vers 18 heures, une petite femme malmenée par un bâtard lui souriait. Les chiens se reniflaient. Après quelques politesses furtives, Georges se laissa approcher par la voix charmante. Ils parlèrent chiens, veuvage, météo, et finirent par rire ensemble. Georges se surprit à attendre ces moments avec impatience.